Afruibana relaie l’appel de la Global Coalition of Fresh Produce à une action « urgente » pour sécuriser l’approvisionnement en fruits et légumes.
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27 juillet 2023Au lendemain du grand salon annuel Fruit Logistica qui s’est tenu à Berlin du 8 au 10 février 2023, La Tribune Afrique revient sur les enjeux de la filière de la banane en Afrique, sur fond de renégociation des accords de partenariats économiques (APE) et à quelques mois de la présidence espagnole du Conseil européen.
La banane est née il y a environ 7.000 ans en Asie du sud-est avant de se propager progressivement sous différentes latitudes. « À la fin du XIXe siècle, la folie de la banane s’est imposée aux États-Unis. C’est le début d’un processus d’industrialisation qui s’est accompagné de la création de l’United Fruit Company (rebaptisée Chiquita Brands International en 1989, ndlr) », explique Jean-François Billot, secrétaire général d’Afruibana, une association qui défend les intérêts des producteurs de bananes de Côte d’Ivoire, du Cameroun et du Ghana.
À la fin du XXe siècle, le marché de la banane-dessert à l’export a explosé. « Avec 140 millions de tonnes par an, c’est le premier fruit frais commercialisé au monde sur un marché qui fait vivre entre 3 et 4 millions de personnes », souligne Denis Loeillet, économiste au Cirad (un organisme français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes).
« Aujourd’hui, l’Asie est le plus gros producteur mondial, mais sa production est essentiellement consommée à l’intérieur de ses frontières. L’Amérique latine représente environ 80% des exportations mondiales de bananes dessert et l’Afrique ne représente pas plus de 3,4 % de du volume global », estime Jean-François Billot.
Si la filière africaine fait encore figure de petit poucet face aux géants sud-américains, elle se structure peu à peu, au point de représenter le deuxième produit le plus exporté (hors pétrole) du Cameroun, après le bois.
« La culture à l’export de la banane est arrivée au début du XXe siècle au Cameroun. En 2023, le pays a exporté 216 000 tonnes de bananes dessert. Nous sommes passés d’un niveau de production de 60 000 tonnes dans les années 1990 à 300 000 tonnes juste avant la crise anglophone de 2016 qui a freiné cet élan », précise Joseph Owona, président d’Afruibana.
Evoluant vers une organisation de plus en plus concentrée, la filière camerounaise rassemble aujourd’hui trois grands producteurs : Les Plantations du Haut Penja (PHP, filiale du groupe Compagnie Fruitière), La Cameroon Development Corporation et la Boh Plantation Limited (BPL) qui ont respectivement exporté 166 000 tonnes, 16 700 tonnes et 14 300 tonnes de bananes-dessert en 2021.
Quand l’hyper-standardisation menace la banane-dessert
Tout au long du XXe siècle, la standardisation du fruit a produit un modèle unique de banane-dessert, « la Cavendish, qui représente plus de 99 % des exportations mondiales », explique Alistair Smith, le coordinateur international de l’association Banana Link. Cette uniformisation a rendu le fruit vulnérable aux bactéries.
Dans la deuxième partie du XXe siècle, un champignon apparu en Asie, la fusariose du bananier (ou FOC TR4), bouleversa le marché mondial de la banane. « Décelée en Asie, la TR4 a ensuite été identifiée en Amérique latine. C’est une bactérie dévastatrice qui, sans traitement adéquat, pourrait tout simplement provoquer la fin de la banane en une décennie », prévient Alistair Smith. En Afrique, un cas de fusariose a été décelé au Mozambique sur une parcelle qui fait l’objet de mesures drastiques de biosécurité.
Face à l’urgence de la situation, la diversification de la production est devenue un impératif. « Nous devons accentuer nos efforts en matière de durabilité des systèmes de production, en diminuant le plus possible le recours aux intrants chimiques et en intensifiant la recherche. Il existe des alliances de type World Musa Alliance qui permettent déjà de mutualiser les ressources pour améliorer la qualité des productions », estime François Cote, directeur du département Performance des Systèmes de production du Cirad.
Au-delà de la seule nécessité scientifique, la durabilité de la filière est aussi une exigence récurrente des consommateurs européens face à l’urgence climatique, qui fait peser de nouvelles charges sur les producteurs africains engagés dans une transition climatique à marche forcée.
La diversification de la banane vers des produits transformés à plus haute valeur ajoutée pourrait aussi contrebalancer la décroissance tendancielle du prix de la banane sur les marchés internationaux, observée depuis quelques années. Selon le baromètre Fruitrop du Cirad, entre 2015 et 2021, le prix du carton de bananes à l’importation est passé de 14,1 euros à 11,7 euros.
« Il a fallu surmonter les conséquences du Covid, la perturbation des chaînes logistiques, l’augmentation des prix du fret, de l’électricité et des engrais, pour retrouver une croissance de la valeur en 2022, avec un rebond phénoménal à 14,1 euros le carton en Europe. On se demande maintenant si cette revalorisation sera suffisante pour couvrir les coûts supportés par les agriculteurs pendant les crises, car l’un des défis principaux que nous devons relever repose sur la juste rémunération des producteurs », précise Jean-François Billot.
Que changera la présidence espagnole au Conseil européen ?
Les bananes-dessert produites en Afrique sont exportées vers l’Union européenne à 95 %. En 1993, l’UE créa l’Organisation commune du marché de la banane (OMCB) qui accordait un certain nombre d’avantages douaniers aux bananes venues des pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP). « Entre 1993 et 2022, toutes les barrières de régulation ont été sacrifiées sur l’autel de la mondialisation heureuse. Aujourd’hui, le marché européen n’est plus géré qu’au travers d’un droit de douane différentiel entre les productions ACP et le reste du monde », explique Denis Loeillet du CIRAD.
« Les bananes dollars bénéficient d’un accès privilégié sinon exclusif au marché américain et viennent grignoter les parts de marché des productions ACP et européennes sur le marché européen, alors que les bananes ACP n’ont pas accès au marché américain, y compris celles de République dominicaine qui se trouve à deux encablures des États-Unis. Parallèlement, les protections qui permettaient de contenir les effets de cette concurrence asymétrique, ont peu à peu été réduites comme peau de chagrin. Maintenir cette protection de 75 euros/tonne est une priorité pour nous », insiste Joseph Owona, président d’Afruibana.
D’aucuns considèrent que la dernière barrière tarifaire dans l’espace UE pourrait être menacée lorsque l’Espagne prendra la présidence du Conseil de l’Europe au second semestre 2023. « Nous nous posons des questions au regard des liens historiques qui existent entre l’Espagne et les pays d’Amérique latine. Les accords de libre-échange signés en 2012 et 2013 avec l’Amérique latine ont précédemment démantelé le régime des droits qui prévalait jusqu’à la présidence espagnole », explique Jean-François Billot.
« Si la banane ACP disparaît du marché européen, cela entraînera de facto la disparition progressive des productions européennes et antillaises. Il est dans l’intérêt de tous de maintenir cette protection », explique Joseph Owona, le président d’Afruibana. Pour Jean-François Billot, « les Espagnols devraient chercher à préserver la production des bananes ACP pour protéger la filière des îles Canaries ». L’archipel espagnol abrite plus de 8.000 producteurs de bananes pour une production de 400 millions de kilos par an, selon l’Association des producteurs de bananes des îles Canaries (ASPROCAN, 2022).
Marie-France Réveillard