Brexit et bananes africaines : quels sont les enjeux ?
29 mai 20193 questions à… Willy Gabriel Mboukem, directeur de plantation chez Kenysson Diogo Vaz
10 juin 20193 questions à… Alfonso Medinilla, Policy Officer au European Centre for Development Policy Management (ECDPM)
Quels sont les principaux enjeux du partenariat ACP-UE avec l’accord post-Cotonou ?
Pour comprendre les enjeux de l’accord post-Cotonou, il faut prendre du recul et voir comment le paysage politique et économique a évolué depuis 2000. L’intégration africaine, en particulier, a évolué massivement, avec l’Union africaine (UA) prenant une place de plus en plus importante dans les relations avec l’Union européenne (UE). Dans le même temps, le modèle de relations ACP-UE axé sur la coopération et l’aide au développement a progressivement perdu de son attrait, cédant la place à de nouvelles formes de relations basées sur des intérêts partagés.
Il s’agit d’une question épineuse car il existe une grande confusion sur la manière dont les pays africains devraient négocier un nouvel accord entre l’UE et l’Afrique : par le biais de l’UA ou des ACP ? Même si les négociations ont commencé, il n’y a pas de consensus politique ferme sur cette question entre les capitales africaines. Alors que certains dirigeants africains se sont prononcés en faveur d’une voix plus forte pour l’Union africaine dans les relations avec l’UE, d’autres préfèrent l’approche intergouvernementale via le réseau ACP.
Au sein de l’Union européenne, les institutions semblent également avoir des agendas différents. Alors que le Service européen d’action extérieure (SEAE) cherche à établir une relation plus stratégique avec le continent africain, la DG Coopération internationale et développement (DEVCO) de la Commission européenne – qui dirige les négociations sur l’accord post-Cotonou – a un intérêt direct à maintenir un partenariat ACP-UE fort.
Tout le défi réside dans la capacité à trouver une solution qui plaise à tout le monde, et dans la pratique, cela peut conduire à un scénario qui ne satisfait personne. Dans le style traditionnel de la politique de l’UE, la Commission européenne a proposé une formule hybride complexe basée sur la continuité à travers une base commune pour tous les pays ACP, ainsi qu’une régionalisation plus profonde au moyen de trois protocoles régionaux distincts avec respectivement l’Afrique, les Caraïbes et le Pacifique. Il appartient aux gouvernements africains de décider si un tel scénario servira leurs intérêts, non seulement en 2020, mais jusqu’en 2040.
Quel rôle l’Union européenne a-t-elle à jouer dans le développement du secteur agricole africain ?
L’UE et les pays européens jouent déjà divers rôles dans le secteur agricole africain.
Premièrement, les institutions et la coopération bilatérale sont très actives dans la promotion du développement agricole à travers le continent.
Deuxièmement, il y a une forte présence d’investissements européens dans le secteur agricole africain, en particulier dans les segments les plus transformés et fondés sur le marché.
Troisièmement, l’Europe est un grand consommateur de produits agricoles africains. L’UE, par exemple, a un impact important sur le secteur agricole africain à travers la définition des normes du secteur, par exemple en tant que l’un des principaux marchés d’exportation des produits agricoles et alimentaires africains. Typiquement, le secteur bananier africain – avec 85% de ses exportations vers le continent européen – respecte les normes sanitaires et environnementales requises par les institutions européennes.
Ces différents rôles peuvent toutefois être difficiles à concilier. Pour avoir plus d’impact, l’UE devrait se rapprocher des politiques de développement agricole des États africains et se concentrer sur la capacité des acteurs africains à tirer parti des opportunités commerciales de l’UE et à prendre part aux chaînes de valeur industrialisées. Dans le même temps, elle doit être consciente de son propre impact sur l’agriculture africaine et éviter les effets anti-développement, par exemple des exportations de l’UE sur les segments plus faibles de l’agriculture africaine, par exemple le secteur laitier.
Les engagements des institutions publiques européennes et les intérêts du secteur privé ne sont pas toujours totalement alignés. Il existe un réseau complexe de présence européenne sur le continent africain, et l’Union européenne doit être vigilante sur la manière dont ses investissements publics et privés pourraient être alignés sur les objectifs de développement durable des Nations unies.