Des initiatives soutiennent le bio en Afrique
29 septembre 2017Les agroentrepreneurs à l’honneur avec le World Food Prize 2017
23 octobre 2017Denis Loeillet est responsable de l’Observatoire des marchés du Cirad-Persyst UR 26 et rédacteur en chef de la revue FruitTrop du Cirad. Il est un expert reconnu du marché de la banane et participe à ce titre à la rédaction du Cyclope, rapport annuel sur les marchés mondiaux de matières premières.
– Quelles sont les tendances sur le marché de la banane en 2017 ?
Les tendances sont très médiocres, voire très mauvaises. Comme disent les anglo-saxons, « it is a perfect storm ». La baisse des prix a d’abord été violente, avec une attente de près de 14 semaines en 2017 avant de retrouver des prix corrects. Le marché s’est ensuite bien comporté durant deux mois, avant de rechuter à des niveaux assez bas dès juin, et historiquement bas durant l’été et septembre. Depuis début octobre, on commence à percevoir une amélioration du marché, qui devrait tenir jusqu’à la fin de l’année.
– Quelles sont les origines de ces tendances ?
Tout cela était prévisible car les fondamentaux du marché indiquent depuis quelques temps déjà qu’une crise due à une offre abondante se profilait. Les prix étaient bons depuis une dizaine d’années, ce qui a entrainé logiquement une hausse des investissements et à la fois de la productivité. Ce cycle des matières premières a depuis 10 ans au moins été régulé par les aléas climatiques (cyclones, sécheresses, tornades, etc.). Mais en 2016, l’offre n’a pas été amputée, ou pas assez, et nous sommes donc en situation de sur-offre sur le marché. Sans dégâts climatiques dans les zones de plantations bananières, tout le potentiel de production s’est exprimé et a embouteillé les ports européens
Malgré les dégâts majeurs en Guadeloupe et Martinique en septembre 2017 (-70% de production comparée à ces dernières années début octobre 2017), on n’a vu aucun effet inflationniste sur les prix stade importation. Il a fallu attendre les inondations monstres en République Dominicaine et la fin des cycles des grands pics de production (au Costa Rica et en Colombie notamment) pour voir le prix du carton prendre entre 1 et 1,50€. Malgré tout, cela sera-t-il suffisant pour enclencher un mouvement haussier ? A court terme sans doute, mais il y a une véritable résilience à la baisse.
Ce n’est pas du tout une crise de sous-consommation, les Européens et Américains ont consommé plus de bananes que les précédentes années. On a une dynamique de consommation en Europe très favorable, avec une augmentation de 4 à 7% annuel depuis plusieurs années. Sur les 40 premières semaines de l’année, si on compare cela à l’année précédente, l’importation est en hausse de 7%. Joli score pour un produit de très grande consommation.
– Quelles perspectives voyez-vous pour la production africaine ?
D’ici cinq ans, on peut s’attendre à une offre africaine à un million de tonnes. En termes de volumes, les perspectives sont bonnes car il y a de nombreux projets d’extension de plantations existantes mais aussi des projets de nouvelles productions, notamment en Côte d’Ivoire et au Ghana, un peu moins au Cameroun.
À l’exportation, cela se traduit très concrètement sur le marché européen par une hausse des importations en provenance du continent africain. Si l’on regarde les données d’Eurostat clôturé à 8 mois fin août 2017, la Côte d’Ivoire frôle déjà les 200 000 tonnes à l’exportation vers l’Europe (un record !), tandis que le Ghana a exporté environ 44 000 tonnes, contre 34 000 tonnes un an auparavant. L’année dernière, la Côte d’Ivoire avait déjà exporté vers l’Union européenne 308 000 tonnes de bananes.
Si le potentiel de l’offre a augmenté, il y a aussi une demande preneuse. Depuis 2012, près de 660 000 tonnes de bananes en plus ont été importées sur le marché européen. C’est comme si un marché et demi de la taille du marché français s’était ajouté dans l’Union européenne. La dynamique du côté de la consommation a permis d’absorber cet excès de l’offre mais c’est traduit en 2017 par une baisse très sensible des prix.
– Quel rôle peut jouer l’Union Européenne pour accompagner le développement de la banane en Afrique ?
Depuis la mise en place du marché unique de la banane, l’Union européenne a toujours accompagné et soutenu les productions des pays ACP.
Cela se traduisait essentiellement à travers deux politiques. Tout d’abord, un accès différencié sur le marché européen, avec des accès privilégiés en termes de quota et de droits de douane. Ensuite, un système d’appui au développement (programme ATF ou encore MAB) du secteur bananier visant à renforcer la compétitivité des filières et leur diversification.
Ces deux piliers se sont progressivement effrités. Concernant le premier pilier, on rentre dans la période de négociation du droit de douane de 75€ la tonne dont les concurrents latino-américains voudraient la réduction voire la suppression mais qui reste le dernier instrument de régulation des marchés bananiers européens. Sur le pilier apui au développement, le programme MAB (Mesures d’accompagnement de la banane) se termine, sans que la Commission européenne n’ait pour l’instant tracé les lignes d’un nouveau plan d’appui.
Pour différentes raisons, l’UE a tout intérêt à continuer de soutenir la production des bananes ACP. Cela permet tout d’abord de maintenir une réelle diversité des origines sur le marché européen, au risque de se retrouver rapidement avec uniquement quatre origines de bananes. Ensuite les décideurs européens ne doivent pas oublier l’importance du développement des zones rurales africaines, où la banane occupe finalement peu de terres pour une intensité de main d’œuvre assez forte. C’est un secteur qui requiert une main d’œuvre formée et de qualité, atout supplémentaire pour les zones rurales en quête de développement. L’agriculture en Afrique est un secteur d’autant plus intéressant que le continent prend résolument le tournant de l’agroécologie.
Mais je dirais même qu’il y a une éthique que l’Europe doit respecter. Les pays africains signent depuis longtemps des accords de coopération avec l’Europe. Il y a une obligation morale de continuer à appuyer et soutenir la filière banane en Afrique, d’autant plus que les destins des deux continents sont liés. Ce détricotage des accords entre les pays africains et l’UE qui se déroule depuis une quinzaine d’années n’a pas de sens ni historique ni économique.
– Les RUP (régions ultrapériphériques) et les producteurs africains n’ont-ils pas intérêt à s’allier face aux géants sud-américains ?
Ce sont des alliés objectifs. En termes de défense politique, ils sont en « coopétition » – Compétiteurs sur les mêmes marchés mais alliés objectifs pour défendre leur position de fournisseurs privilégiés du marché européen. Bien que les producteurs des RUP et des pays ACP soient en compétition sur les marchés, ils ont tout intérêts à coopérer sur les droits de douane et la clause de sauvegarde. D’autant plus que ces régions partagent une même vision d’une certaine agriculture, de certaines origines.